Au sein de la clinique d’Amade, hôpital de jour en santé mentale, l’atelier d’art-thérapie accueille des profils de patients divers et variés. Beaucoup sont des personnes souffrant d’anxiété, de dépression, de troubles de personnalité avec parfois des addictions et des traumatismes.
Le dénominateur commun de mes patients est un manque de l’estime de soi.
Dans estime de soi, on entend « amour de soi, confiance en soi et vision de soi* » selon
Christophe André
*cf livre « l’estime de soi, s’aimer pour mieux vivre avec les autres, Christophe André et
François Lelord, édition Odile Jacob.
Bien souvent, les patients manquent d’élan vital et ont du mal à contacter leur désir.
Ils se sentent souvent démunis, impuissants comme mis sur pause.
Ils expriment une difficulté à mobiliser leur énergie. Ils ont l’impression que leur valeur est altérée. Ils expriment un grand manque de confiance en eux.
Art-thérapie et estime de soi : mise en place de l’atelier
La peinture tactile comme élan à la vie
Je déroule un lé de papier sur les tables. Au milieu, quelques pots de peinture acrylique sont posés. Je mets également à disposition de grands bacs pour y déposer la couleur.
Les patients choisissent une place face à la fresque. Ils prennent ensuite toutes les couleurs qui leur font envie : du bleu outremer en passant par le carmin, des jaunes flamboyants aux verts prairie… Certains tentent des mélanges, curieux du résultat produit.
La magie opère déjà.
La créativité des uns amène les autres à expérimenter. D’autres patients tentent aussi des mélanges plus ou moins audacieux en rajoutant de l’eau ou du vernis colle…
Quand toutes les couleurs sont déployées dans les bacs vient alors le temps d’expérimenter…
Le déroulé de séance pour des patients en manque d’estime de soi
Le jeu et le plaisir comme moteurs pour l’amour et la confiance en soi
Après un rapide temps de relaxation, je propose à chacun de se mettre debout tout en prenant un bac. Je leur propose de garder leurs yeux clos, puis à plonger la main dans la couleur.
Je les invite à sentir les différentes textures et la température que leurs offrent la peinture. A travers le toucher et la matière de remettre du corps, de sentir, de faire l’expérience ici et maintenant de la sensation en respirant en conscience.
Puis vient le moment où chacun dépose la couleur sur la fresque.
Chaque patient est alors présent à ce qui se joue pour lui dans l’instant.
Julien* écrase la couleur en aplatissant fortement avec la main. Il déplace son corps vers l’avant pour sentir tout son poids aplatir la feuille. Julien se met alors à sourire et reste quelques instants immobiles dans ce plein contact.
Julie* a mis très vite ses deux mains dans la peinture. Elle étale joyeusement la couleur les yeux fermés dans des mouvements amples. Elle appuie très peu sur ses doigts et semblent comme pianoter le papier au rythme de la musique.
Charles* reste dans un contact timide. Il a mis deux doigts dans la peinture et ressent comme une gêne à son contact. Il se sent comme paralyser ne sachant pas trop quoi faire sur la feuille. Il décide d’ouvrir les yeux et regardent ses collègues peindre spontanément sans attentes de résultat.
Il décide de s’assoir et de les observer. Il voit à travers leurs visages réjouis le plaisir qu’ils ont à se laisser porter.
Charles ne veut pas peindre mais rester en pleine présence de ce qu’il voit lui suffit. Il vit l’atelier « par procuration », par le biais du groupe qui s’exprime dans le jeu. Dans ces instants de contemplation, il tente de se remémorer ses instants où il a juste pris le temps d’observer en conscience…
La clôture de séance de la séance d’art-thérapie
La joie, le partage et le plaisir pour se faire confiance et s’aimer
Jouer sans attentes de résultat, s’inscrire dans le plaisir et la magie de l’instant présent…
Les patients ont vite compris que le résultat en art-thérapie n’est pas sur la feuille mais en eux.
Au contact de la peinture, les corps se détendent.
Les yeux étant fermés, les patients savent qu’ils ne contrôlent pas le résultat.
Sans attentes, avec le cœur, l’émerveillement et l’expérience comme moteur, ils s’ouvrent à la découverte. Ils se rendent compte qu’ils peuvent oser. Ils apprennent à se faire confiance et à relancer leur élan à la vie.
Le vécu ensemble est essentiel.
En s’appuyant sur la créativité de chacun, le groupe permet une dynamique.
Jouer pour simplement jouer.
Respirer consciemment, s’observer sans jugements, s’autoriser au plaisir… autant d’éléments qui nourrissent et participe à l’estime de soi.
Les valeurs comme l’émerveillement, le jeu, l’amour sont alors mises à profit au détriment des croyances et des jugements.
Et dans ce grand tout qu’est leur monde intérieur, chaque patient peut alors se mettre à rayonner, devient capable d’œuvrer vers soi, vers plus de liberté, de valeur, de vie et de confiance.
* les prénoms ont été changé pour respecter la confidentialité